« Prévenir les expositions aux cancérogènes pour éviter les cancers, demain »

Publié le 17 juillet 2017 • Mis à jour le 17 juillet 2017

François Desriaux est vice-président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), dont il est également membre fondateur. Il est aussi Conseiller prud’homal CFDT à Paris. Professionnellement, il est rédacteur en chef du magazine mutualiste Santé & Travail. Récemment, l’Andeva a dénoncé la position du parquet et des juges d’instruction qui semblent se diriger tout droit vers un non-lieu dans le volet pénal de l’affaire de l’amiante.

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CFDT Paris : Tu as dénoncé un possible non-lieu dans l’affaire de l’amiante. Pourquoi ?

François Desriaux : Parce que nous avons découvert que les magistrates instructrices du pôle judiciaire de santé publique de Paris ont pris position officiellement, le 9 juin dernier, en exprimant leur volonté de rendre un non-lieu dans le volet pénal de l’affaire de l’amiante.
Elles s’appuient pour cela sur un rapport d’expertise scientifique commandé par elles en 2016 et rendu en février 2017. Sauf qu’elles interprètent de façon totalement erronée la démonstration des experts. C’est cela qui est choquant. Après 21 ans d’une instruction pour le moins chaotique, se tromper aussi grossièrement est scandaleux, voire délibéré. Et comme on pouvait le craindre, le parquet qui, depuis le dépôt des premières plaintes en 1996, ne veut pas d’un procès pénal, s’est engouffré dans la brèche et a pris des réquisitions en faveur d’un non-lieu. Curieusement quand on connait la lenteur de la justice, on s’étonne que le parquet se soit prononcé en moins de quatre jours !

CFDT Paris : En quoi les juges d’instruction se trompent-elles et pourquoi le parquet ne souhaite-t-il pas d’un procès pénal ?

FD : les juges du pôle judiciaire de santé publique estiment au vu du rapport d’expertise que, s’agissant de l’amiante, il est impossible de déterminer la période d’intoxication des victimes et, de ce fait, de relier de façon certaine les dommages (la maladie ou le décès) à la commission d’actes délictueux des responsables mis en examen. Or, les magistrates oublient un élément essentiel de la démonstration des experts : l’amiante est un cancérogène sans seuil, c’est-à-dire que l’on ne connait pas de niveau d’exposition en-dessous duquel il n’y a pas de risque. Cela signifie tout simplement que chez les victimes, les processus biochimiques à l’œuvre dans le développement de cancers ont débuté dès le début de l’exposition. Comme le soulignent les experts dans un schéma qui, compte tenu de son importance, se situe dès le préambule de leur rapport, la période d’intoxication se confond avec la période d’exposition. Or, s’il y a bien une date que l’on connait avec précision, pour chaque victime, c’est la ou les périodes auxquelles elles ont été exposées !
Quant au parquet, à chaque rencontre, nous avons toujours pu vérifier qu’ils ont toujours été opposés à la tenue d’un procès pénal de l’amiante qui mettrait en lumière les manquements graves de hauts responsables de l’administration, des industriels, de médecins, de dirigeants des organismes de veille sanitaire. D’ailleurs, dans cette affaire, ce sont les victimes qui ont été à l’initiative des poursuites. Le parquet a toujours été à la manœuvre pour mettre des bâtons dans les roues.

CFDT Paris : les médias parlent souvent du « scandale de l’amiante ». Où se situe l’aspect scandaleux de cette affaire ?

FD : L’amiante n’est pas une catastrophe sanitaire « naturelle ». C’était une catastrophe évitable, au moins dans son ampleur, si on avait mis en œuvre une politique de prévention efficace en fonction des connaissances scientifiques que l’on avait sur la dangerosité de ce matériau. Mais au lieu de cela, les industriels se sont organisés, avec la complicité des pouvoirs publics, dans une structure de lobbying qu’ils contrôlaient – le Comité permanent amiante (CPA) – pour minimiser les dangers d’une utilisation débridée de cet isolant et retarder toute mesure réglementaire qui aurait amoindri les bénéfices juteux qu’ils en retiraient. On sait pourtant que l’amiante est un matériau qui provoque des pathologies respiratoires mortelles depuis le début du 20è siècle et des cancers depuis le milieu des années 60. Il faudra pourtant attendre 1976 pour que les premières mesures réglementaires soient prises et 1997 pour que l’interdiction de l’amiante soit prononcée. Le bilan de ce décalage est très lourd : 3000 morts par an et 100 000 morts au total à la fin de l’épidémie, selon les prévisions des épidémiologistes.

CFDTParis : Que peuvent faire les militants de la CFDT face à ce genre de situation ?

FD : En ce qui concerne l’amiante, malheureusement, le mal est fait. Encore qu’il ne faut pas perdre de vue que si l’amiante a été interdit, il reste des quantités importantes d’amiante en place dans les bâtiments. Aujourd’hui encore, des salariés sont exposés. Soit parce qu’ils interviennent pour effectuer des travaux dans des bâtiments qui en contiennent et qu’ils peuvent être contaminés à cette occasion. Soit parce qu’ils vivent ou travaillent dans ces mêmes bâtiments. Depuis le milieu des années 90, sous la pression de l’Andeva, la France s’est dotée d’une législation et d’une réglementation de prévention qui est probablement l’une des plus efficaces des pays industrialisés. Il revient aux militants de la CFDT, notamment à ceux qui ont un mandat de représentant du personnel, de veiller à sa bonne application. On en est loin et ils ont donc du pain sur la planche.Un nouveau décret a été publié le 9 mai dernier sur les obligations de repérage de l’amiante en place avant travaux. On attend encore des arrêtés qui viendront préciser les modalités techniques de ce repérage. Il est essentiel pour éviter les victimes de demain que les militants CFDT concernés se forment à ces textes et qu’ils surveillent qu’ils sont bien mis en œuvre. D’une manière générale, ce qui est valable pour l’amiante, l’est aussi pour l’ensemble des produits cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR). Deux millions et demi de salarié.e.s sont exposé.e.s régulièrement à une substance cancérogène sur leur lieu de travail. C’est considérable. Pour éviter les cancers professionnels de demain, il faut mieux prévenir ces expositions aujourd’hui.

Pour en savoir plus :
- Site de l’ANDEVA : http://andeva.fr
- Site Santé et travail : http://www.sante-et-travail.fr

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