2015 - Zones touristiques Internationales : Devoir de vacances et dossier de rentrée pour la CFDT Paris
C’est en pleine torpeur estivale que l’Union départementale de Paris reçoit une missive co-signée par 2 ministres (François Rebsamen et Emmanuel Macron) sollicitant notre avis sur la délimitation des Zones Touristiques Internationales (ZTI) à Paris.
Que ce courrier nous parvienne un 14 août n’est pas un problème en soi puisque plusieurs fidèles étaient bien présents ce jour-là dans les locaux de la rue Euryale Dehaynin.
Donner notre avis ne nous pose pas de problème non plus puisque les discussions internes autour des zones touristiques (internationales ou pas) sont sur la table depuis plus d’un an (et même 6 ans si on évoque les zones touristiques à Paris : voir plus bas) ; l’ouverture des commerces le dimanche a déjà fait l’objet de plusieurs textes dans nos instances mais aussi d’un argumentaire confédéral paru peu après le Congrès de Marseille.
Un avis : Nous en avons donc un ! Et nous vous proposons de le scruter à la loupe...
Définition trop floue
Les ZTI -introduites à l’article L.3132-24 du Code du Travail- sont délimitées « compte tenu du rayonnement international de ces zones, de l’affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France et de l’importance de leurs achats ».
A notre sens, cette définition ne délimite pas suffisamment clairement les critères établissant le champ de ces zones et laisse trop de place à la subjectivité. Elle rend ainsi possible l’extension des ZTI à n’importe quelle autre zone à Paris. Elle ouvre par conséquent la porte à la généralisation du travail du dimanche, ce à quoi nous sommes opposés. C’est pourquoi nous souhaitons que les critères et les chiffres qui ont permis de considérer les territoires comme des ZTI nous soient communiqués.
Sans ces éléments, il nous est difficile d’exprimer un avis sur la pertinence des 12 zones proposées dans votre courrier ni, à l’avenir, sur leur possible évolution.
Et non ! Emmanuel Macron ne semble pas disposé à nous fournir les critères transparents pour la délimitation des zones et en reste, dans un décret du 23 septembre 2015, à des notions trop vagues qui pourraient globalement s’appliquer à tout Paris (ou l’inverse) : "rayonnement international" "flux important d’achats effectués par des touristes résidant hors de France" "ou encore "affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France". Une première étape qui pourrait être un signe de bonne volonté du ministre serait de nous fournir les chiffres qui permettent de juger de tout cela et qui auraient donc -selon le ministère- permis de choisir les 12 ZTI qui ont finalement été choisies.
Contreparties
Concernant les contreparties permettant d’éviter la banalisation du dimanche travaillé, nous approuvons le principe du socle minimum inscrit dans la Loi. La négociation d’accords devra permettre -c’est la responsabilité des partenaires sociaux- de l’améliorer en y intégrant des contreparties liées notamment au territoire (garde d’enfant, transport...).
Accords territoriaux
Cependant, il ne couvrira pas la totalité des salariés de la ZTI si nous en restons à des accords de branche, fussent-ils territoriaux. C’est pourquoi, l’Union Départementale de Paris souhaite aussi des accords territoriaux interprofessionnels qui couvriraient la totalité des salariés des ZTI -y compris ceux appartenant à des secteurs de dérogations permanentes (notamment Hôtels Cafés Restaurants).
Les accords territoriaux ne sont hélas pas dans notre culture ; il existe très peu de précédents voire aucun après la Loi sur la représentativité de 2008. C’est pourquoi la CFDT Paris veut profiter que cette possibilité soit ouverte dans la Loi pour en préciser enfin les modalités techniques : comment un accord territorial pourrait ou devrait être négocié et surtout quelles en seraient les « parties » (au sens contractuel du terme) compétentes pour signer cet accord ?
"Dans l’attente de réponses à nos interrogations, et soucieux de pouvoir émettre un avis sur ce projet, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, nos salutations les plus respectueuses. "
Faute de réponses du ministère, nous avons par ailleurs interpellé le Directeur de l’Union Territoriale Paris de la Direccte pour lui demander un éclairage sur le cadre juridique des accords territoriaux, mais aussi -pour le dossier des ZTI- une commission de suivi pour contrôler que les salariés des commerces ouvrant le dimanche bénéficient bien de contreparties notamment salariales.
2009 : La CFDT Paris contre l’extension des zones touristiques !
En 2009, la mairie est sollicitée par les Grands Magasins de boulevard Haussmann pour faire de ce quartier la huitième zone touristique parisienne.
Sollicité par la Municipalité, la CFDT Paris a présenté un argumentaire dont nous vous proposons ci-dessous quelques extraits :
I - L’accentuation des inégalités : Les femmes majoritairement touchées
Les salariés des grands magasins sont majoritairement des femmes : on en compte par exemple 66% au Printemps, 70% au Bon Marché. Ce sont donc majoritairement les femmes qui seraient directement impactées par l’ouverture du dimanche.
80% des tâches domestiques sont toujours assurées par les femmes. À ces semaines déjà surchargées, doit-on y ajouter de nouvelles contraintes avec le travail dominical ?
Dans une étude du cabinet SEXTANT (2008) commandée par le CHSCT du Printemps Haussmann, il est précisé que l’élargissement des horaires de travail en semaine, et a fortiori le travail dominical, entrainera « une pression supplémentaire sur des organisations personnelles à flux tendus pour des personnels au salaire particulièrement faible, en alourdissant les temps de trajet, les coûts de baby-sitting et en réduisant les temps disponibles pour la famille et les enfants (…).
Le travail du dimanche peut avoir des conséquences financières notables, notamment pour faire garder ses enfants. L’étude SEXTANT précise que 75% des femmes assument seules cette charge (pour diverses raisons).
Les chiffres concernant le nombre de « femmes isolées » dans les Grands Magasins viennent renforcer ce rapport. Aux Galeries Lafayette par exemple, la proportion de familles monoparentales dans le pôle services support fonctionnel est de 40% et de 20% dans les pôles encaissement/ventes, et restauration.
Au Bon marché, 10,7% des salariées sont seules avec au moins un enfant.
II - Un impact sur les salariés hors « grands magasins »
L’expérience des dernières années montre que les grands magasins font peu de cas du sort des salariés qui ne leur sont pas directement rattachés. C’est pourquoi l’accord social obligatoire posé en préalable par le Maire risque de ne concerner qu’une minorité de salariés.
On pense en premier lieu aux démonstrateurs qui représentent 60% du personnel du Printemps Haussmann et qui ne sont pas concernés par les accords d’entreprise. Un nombre en constante évolution, comme aux Galeries Lafayette où leur nombre a augmenté de 30% entre 2006 et 2008. Rapporté en Equivalent Temps Complet, il y avait en 2008 : 1858 salariés rattachés aux GL et 2671 salariés démonstrateurs.
Des salariés « insaisissables » collectivement puisqu’ils recouvrent des branches et des secteurs de conventions collectives très variés. Nous savons par ailleurs qu’ils effectuent déjà des heures supplémentaires non rémunérées en semaine. Lors des précédentes ouvertures exceptionnelles, ils ont pour la plupart travaillé 7 jours sur 7 en toute illégalité. Quid de leur temps de travail si les grands magasins ouvrent tous les dimanches ?
Au delà des démonstrateurs, tous les salariés des secteurs connexes : transports, sécurité, propreté, fournisseurs divers, gardes d’enfants seront impactés avec des disparités dans les contreparties. Par exemple, les salariés de la propreté ont aujourd’hui leurs heures majorées de 20% le dimanche et ceux de la sécurité de 10%.
La CFDT ne peut donc se contenter de négocier de contreparties pour une seule catégorie de salariés alors que la majorité n’y trouverait pas son compte.
III - Un solde d’emploi négatif, un impact économique contestable
L’ouverture des magasins le dimanche ne peut pas être une réponse à la crise de l’emploi. Pire, cela risque d’aggraver encore la situation, de nombreux petits commerces risquant d’être menacés.
A l’étranger, l’expérience montre que les petits commerces sont toujours victimes de cette libéralisation, qui entraine systématiquement une destruction d’emplois. 700 magasins disparaissent chaque année en Grande-Bretagne. En France, le CREDOC estime que 6800 emplois pourraient être supprimés si 40% des hypermarchés ouvraient le dimanche.
Économiquement, cette loi s’annonce inefficace, voire contre-productive. De nombreuses études le démontrent, l’ouverture des magasins le dimanche n’entraînera pas de consommation supplémentaire. L’argent dépensé le samedi ne le sera pas le dimanche. Le pouvoir de consommation des ménages n’est pas expansif, surtout en cas de récession.
Et quand bien-même il y aurait des retombées économiques positives, seuls les grands magasins, déjà largement bénéficiaires, seraient concernés, au détriment des petits. Au mieux, des groupes déjà très riches le seront encore plus pour le seul bonheur des actionnaires et sans que cela ne rapporte rien au niveau social. C’est encore une répartition des richesses, aujourd’hui questionnée par la crise, toujours injuste au profit des mêmes privilégiés.
C’est aussi l’analyse de l’évolution de l’emploi ces dernières années dans les grands magasins qui permet d’avoir cet avis très critique et un doute important sur les promesses d’embauches utilisées aujourd’hui comme argument pour faire céder les décideurs. En effet, le passage aux 35 heures qui aurait dû générer mathématiquement une forte augmentation des effectifs n’a vu que 77 embauches au Printemps Haussmann. Embauches aussitôt suivies par six années de suppression d’emplois : de 2002 à 2008, le nombre de titulaires permanents est passé de 1478 à 1075 (soit une baisse de 38%) ! Nombre auquel il faut ajouter les emplois précaires (CDD + Intérim) qui sont passés de 913 à 719 (soit une baisse de 22%). Ajoutons que ce sont les Séniors (moins mal rémunérés) qui sont prioritairement poussés vers la sortie.
Aux Galeries Lafayette, malgré un CA en augmentation constante depuis 2004, le nombre de salariés a subi une baisse en 2008 (2735 à 2504, soit une baisse de 8,5%).
Il n’y a pas de corrélation entre évolution du CA, évolution des effectifs et évolution des salaires.
En conclusion de la réunion, la CFDT a mis l’accent sur les effets sociétaux et sociaux négatifs de l’ouverture du dimanche : temps de transport plus longs, déphasage social et familial accru, accroissement de la complexité de la gestion de la vie familiale, surcoûts… mais aussi développement durable (l’ouverture des grands magasins augmenterait significativement la circulation), impact sur les activités et associations culturelles et sportives… Nous avons été plutôt rassurés par le discours de la Mairie de Paris qui n’a pas cherché à justifier outre mesure la nécessité de l’ouverture dominicale des commerces et qui ont surtout été sensibles à nos arguments.