La prise en charge des victimes

Publié le 23 juillet 2016 • Mis à jour le 30 mars 2023

L’accueil de la victime par le syndicat

Tres peu de victimes de violences sexuelles et sexistes en parlent. Et si c’est le cas, leur premier réflexe est de se diriger vers des personnes extérieures àl’administration ou l’entreprise (famille, amis, médecin, association...). Il y a donc, sur ces questions, un a priori sur les syndicats. Nous devons rassurer. La première chose àdire àune salariée est que vous ne ferez ni ne direz rien sans son accord explicite.

Le lieu de l’accueil

Si une salariée demande à vous voir en tête àtête, il faut prévoir un lieu pour cela qui ne sera pas forcément le local syndical, lieu de passage par définition. Dans la mesure du possible, il faut donc pouvoir disposer d’un autre bureau (dans l’entreprise, ou à l’extérieur dans une Union départementale par exemple).

Si c’est dans le local syndical, il faudra veiller à ne pas être dérangé ni par le passage, ni par le téléphone...

De la même façon, le rangement du local devra être adapté pour accueillir les paroles d’une victime (éviter de le faire entre des cartons, des piles de tracts etc.).

L’attitude

« Tu es sûre de ce que tu me dis ? » « Jean-Paul ? Ca me semble bizarre... T’es sûre ? ».
Oui, elle est sûre. Donc évitons ces phrases parasites qui insécurisent la salariée et donnent surtout l’impression (réelle ou pas) que vous ne la croyez pas, voire ne la croirez jamais.
Lors du premier entretien, il faut écouter la parole de la victime, reformuler si c’est nécessaire (une fellation imposée n’est pas du harcèlement, mais un viol), et aider la victime à dérouler son récit. Le plus simple et le plus sûr reste le récit chronologique : depuis son entrée dans l’entreprise jusqu’à aujourd’hui. Si vous êtes deux pour écouter la victime (nous vous le conseillons), l’un prend des notes (les plus précises possibles) et l’autre écoute avec empathie la salariée.

Zoom : Le déroulé de l’entretien

La salariée victime de violences sexuelles va vraisemblablement commencer son récit par la fin, puis relater des faits dans le désordre. Il faut prendre le temps (et comme cela peut être long, autant l’anticiper pour ne pas montrer de signes d’impatience aux victimes, que cela risque de « bloquer » dans leur récit !) de reprendre les faits chronologiquement depuis l’entrée dans l’entreprise jusqu’aux faits. Cette méthode d’entretien permet de mettre en lumière la stratégie de l’agresseur et ainsi de déculpabiliser la victime qui pourrait considérer qu’elle est responsable de ce qui lui arrive.

La fin de l’entretien

La salariée ne doit pas partir sans une idée précise de ce qu’elle doit faire et de ce que vous ferez. Il faut à ce sujet être précis et se donner des délais.

Les actions possibles dans les entreprises

Il est utile de rappeler que chaque action devra recevoir au préalable l’accord explicite de la victime. Le rôle du syndicat est de lui donner les pistes ou les recours possibles : c’est à elle de choisir.

Le syndicat peut saisir l’employeur à partir de l’instant oùl’employeur entend parler d’une situation de violences sexuelles au sein de son entreprise, il est de sa responsabilité de s’en saisir, même si la victime ne l’a pas encore sollicite. Attention cependant à ne pas brusquer les victimes en les enjoignant de dénoncer, de saisir officiellement l’employeur. Elles finissent presque toujours par le faire, àcondition de ne pas y avoir été forcées et d’avoir pu choisir ce qu’elles considèrent comme étant le « bon moment » pour elles.

Il est toujours possible de pousser l’employeur à communiquer, de manière globale et non nominative, sur l’interdiction du harcèlement sexuel, sa politique de traitement des plaintes et les risques encourus par le harceleur. Un message susceptible d’encourager les victimes à parler.

Droit d’alerte

Article L4131-2 du Code du travail

« Le droit d’alerte du délégué du personnel et/ ou au CHSCT : une mission d’alerte incombe au délégué du personnel et/ou au représentant CHSCT, qui est le pendant du droit de retrait dont disposent les salarié-e-s.

« Le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, en alerte immédiatement l’employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L4132-2 ».

L’enquête que déclenche le droit d’alerte est nécessairement contradictoire : l’employeur doit la mener avec le délégué du personnel et/ou le représentant CHSCT.
Son usage est donc très important pour éviter que l’enquête soit menée de manière partiale et il signifie à l’employeur que la salariée ne sera pas seule dans son parcours.

La victime peut saisir l’employeur

Dans les entreprises, la victime peut saisir l’employeur des faits de violences. Nous conseillons de le faire formellement, par une lettre recommandée avec accusé de réception dans laquelle la victime pourra décrire les violences dont elle est ou a été victime, expose ce qu’elle souhaite obtenir de la part de l’employeur et lui demande un rendez-vous (elle peut alors demander à être accompagnée par un délégué syndical) afin d’exposer ses demandes et de connaître ses positions.

Pour mémoire :

Article L1153-3 du Code du travail
« Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés ».

Dans la fonction publique

Dans la fonction publique, la victime peut saisir son employeur. Elle bénéficie alors de la protection fonctionnelle. L’administration a alors plusieurs obligations, notamment de mettre en œuvre les moyens les plus appropriés pour éviter ou faire cesser les attaques auxquelles le/la fonctionnaire est exposé-e. L’administration a également une obligation d’assistance juridique (pour le volet pénal par exemple) et de réparation.

La victime peut saisir le Conseil de prud’hommes ou le Tribunal administratif Doit-on conseiller à une victime de harcèlement sexuel de saisir le Conseil de prud’hommes ou le Tribunal administratif (si elle est fonctionnaire) ? Si la victime est toujours salariée, il n’existe pas de réponse-type à cette question car tout dépend du niveau de dialogue et de rapport de force dans l’entreprise. Un bon rapport de force construit par nos équipes syndicales peut (doit) être beaucoup plus efficace qu’une saisine du Conseil de prud’hommes. Cette dernière pouvant être cependant un appui face à un employeur récalcitrant (qui est nécessairement le responsable des faits même s’il n’en est pas l’auteur).

« La justice est saisie, on ne peut rien faire » / « Si la justice n’est pas saisie, on ne peut rien faire ».

C’est l’injonction paradoxale qui est souvent faite aux victimes de harcèlement sexuel, qu’elles soient salariées du secteur privé ou fonctionnaires.

Les employeurs conditionnent en effet le plus souvent leur réaction à un dépôt de plainte des victimes. Mais quand elles ont porté plainte, ils font dépendre leur réaction de la décision rendue dans les tribunaux.

Ainsi, se retranchent-ils derrière l’autorité du juge pénal pour s’abstenir de réagir, de prendre les mesures protectrices à l’égard des victimes ou engager des procédures disciplinaires à l’encontre du mis en cause.

Ce « joker » utilisé par les employeurs ne répond pourtant à aucune règle de droit.
Le harcèlement sexuel est une infraction pénale et constitue une faute au regard de l’entreprise et de l’administration, qui peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire.
Les deux procédures sont indépendantes, elles n’ont pas les mêmes fondements, le même objet et n’obéissent pas aux mêmes règles de preuve. Ainsi, de nombreux agissements peuvent-ils constituer des fautes disciplinaires, sans être, pour autant, des délits. À l’inverse, des faits constituant des infractions pénales constituent nécessairement une faute disciplinaire, les constatations matérielles du juge pénal faisant autorité en matière disciplinaire.
Par conséquent :
• La sanction disciplinaire peut se cumuler à la sanction pénale,
• La sanction disciplinaire peut être prise en contrariété avec une décision de justice,
• Une sanction disciplinaire peut être prononcée alors même que la victime n’a pas porté plainte, ce qui procède de son choix le plus strict,
• Une sanction disciplinaire doit obligatoirement être prononcée en cas de sanction pénale. violence

En résumé, l’employeur privé ou public :
• Doit agir, qu’une plainte ait été déposée ou non par la victime,
• Doit agir, même si une enquête de police ou de gendarmerie est encore en cours,
• Peut prononcer une sanction, même si une enquête de police ou de gendarmerie est encore
en cours,
• Peut prononcer une sanction, même si une sanction pénale est déjà intervenue,
• Peut prononcer une sanction, même si la plainte pénale n’a pas abouti,
• Doit prononcer une sanction, si la plainte pénale a abouti à une condamnation.

Si la victime a quitté l’entreprise (démission, licenciement, rupture conventionnelle...), il est probable que ce soit le seul lieu par lequel elle pourra obtenir réparation.

La constitution d’un dossier

Il ne s’agit pas de remplir un formulaire préétabli mais de rassembler tous les éléments qui peuvent être utiles à la défense de la victime, et notamment son témoignage qui en sera la pièce maîtresse. L’accompagnement du syndicaliste dans cette étape est essentiel pour donner des éléments de méthodes à la victime.

Le dossier sera alimenté au fur et à mesure de l’évolution de la situation. Il permet par ailleurs à la victime, mais aussi au militant qui l’accompagne, de prendre du recul pour élaborer les stratégies les plus adéquates et décider en connaissance de cause.

Il va de soi que si les employeurs ne peuvent se retrancher derrière l’existence ou l’inexistence d’une plainte pénale pour se dispenser d’agir, il en va de même des syndicalistes ! Il n’est pas possible, et cela n’aurait aucun sens, de conditionner l’action syndicale au dépôt d’une plainte.

Concrètement :

Vous réunirez (avec la victime évidemment) les pièces ou informations concernant :

La situation de travail :

• Contrat de travail et fiches de paie,
• Évolution de la situation professionnelle (poste, promotion, rétrogradation...).

Le(s) agresseurs(s) :

• Nom et position hiérarchique,
• A-t-il de l’influence et sur qui ?
• A-t-il en général une attitude offensante, sexiste ?
• Agresse-t-il ou a-t-il agressé d’autres personnes ?

Sur les répercussions du harcèlement :

• Sur le travail de la victime : avertissements, sanctions disciplinaires, brimades, « mises au placard »,
• Sur ses relations personnelles et sociales, • Sur sa santé : arrêts de travail, certificats médicaux, traitements médicaux.

Sur les agissements de l’agresseur :

- Le récit détaillé et chronologique des agressions : le contexte, l’heure, le lieu, les paroles et gestes exacts de l’agresseur, même si cela gène la victime,
- Ses menaces ou/et ses promesses, en précisant celles mises à exécution, les contraintes subies, tout écrit ou tout objet que l’agresseur aurait fait parvenir à la victime (“post-it”, petits mots, lettres, cadeaux acceptés ou refusés, pornographie).
Les enregistrements clandestins peuvent valoir comme élément de preuve en matière pénale.

Sur les démarches de la victime :

- Auprès du harceleur,
- Auprès de votre hiérarchie,
- Auprès des collègues, délégués du personnel et syndicaux, le comité d’entreprise, le comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail,
- Auprès de l’inspection du travail, la médecine du travail, la police/gendarmerie, des chargées de missions départementales et régionales aux droits des femmes (rattachées au Préfet),
- Auprès des associations.

La victime doit dater et préciser les réponses obtenues, garder les justificatifs de ses différentes démarches (double de vos écrits, preuve de leur envoi), ainsi que les traces de ses dépenses (affranchissement du courrier, téléphone, frais de déplacement, photocopies) a n d’évaluer le préjudice financier.

Les agresseurs

Ils peuvent également considérer que leur « comportement » est normal. Ainsi est-ce souvent le cas lorsque le harcèlement sexuel s’exerce à plusieurs. Il devient ainsi « la norme », d’autant plus difficile à dénoncer qu’il s’agit de mettre en cause plusieurs personnes à la fois.

Ou encore, ils ne font que profiter d’une organisation du travail qui isole déjà les salariées. Par exemple, les « femmes de ménage » qui travaillent très tôt le matin, tard le soir ou le week-end quand les salariés de l’entreprise ne sont pas présents.
Au travers des témoignages des victimes, il est possible de faire ressortir des « stratégies », sinon des procédés récurrents :
• Ils « soufflent le chaud et le froid », alternent des phases de convivialité et des phases d’agressivité qui déroutent les victimes,
• Ils mettent en place immédiatement un climat de terreur et d’intimidation,
• Au contraire, ils se rendent indispensables et se montrent particulièrement « favorisants »,
• Ils « divisent pour mieux régner »,
• Ils misent sur l’usure des victimes afin qu’elles cèdent,
• Au contraire, ils utilisent la surprise, •...

En tout état de cause, la personne qui harcèle, qui agresse n’est pas un « malade » qui agirait selon des « pulsions » qui seraient « incontrôlables » ou pour compenser une soi-disant « misère sexuelle ».

Cette thèse, humiliante pour quantité d’hommes qui ne se reconnaissent pas dans cette caricature de sexualité masculine, est en effet contredite par la réalité. Les auteurs de violences sont parfaitement capables de se maîtriser et choisissent de commettre des violences. En outre, ils ont toujours conscience de l’absence de consentement, de réciprocité ou de désir de l’autre, qui est soit exprimée de manière explicite, soit se déduit d’une absence d’adhésion aux « propositions » qui sont faites, de silences diplomatiques ou de conduites d’évitement.

Enfin, prétendre qu’ils seraient des « malades » « esclaves de leurs pulsions » exonère le harcèlement sexuel et les harceleurs de toute critique sociale et juridique puisque ces derniers relèveraient d’une prise en charge psycho- médicale. Les considérer comme des malades a aussi pour effet de gommer l’existence de rapports de pouvoir, qu’ils soient hiérarchiques ou sexués, entre harceleur et harcelée.)]

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